put the lime in a freakin' coconut ― blake

Quand Darren lui avait annoncé qu'il avait racheté un bar de Miami il y a une dizaine d'années, Jonas s'était imaginé un endroit cool qui accueillait surtout des bachelors, des hommes célibataires à la conquête d'une demoiselle avec qui passer la soirée, peut-être même la nuit s'ils étaient chanceux. Avec un nom comme le Ball and Chain, ça lui semblait logique que le bar soit un repère pour divorcés, ce que Darren était sur le point de devenir à l'époque. Joe avait cependant été surpris de constater que le bar n'avait rien d'un terrain de jeu pour hommes en crise de la quarantaine, mais plutôt un lieu de rassemblement pour tout type de clients, majoritairement des femmes qui y venaient pour les soirées latines dans l'espoir de trouver un partenaire de danse pour la soirée, peut-être pour la vie si elles étaient chanceuses. Et puis, sous ces apparences de boîte de nuit festive et exotique, la criminalité régnait. Mais ça, Jonas tentait de ne pas trop y penser. Pas ce soir.

Devant lui se tenait la distrayante Blake, cette femme au prénom peu commun pour son espèce. Est-ce que cela la rendait encore plus charmante aux yeux de Joe? Peut-être. Son petit nez qui plissait quand il la faisait rire et ses grands yeux de biche y étaient aussi pour beaucoup. Ça faisait changement des femmes approchant la cinquantaine qui passaient un peu trop de temps accoudées au bar dans l'espoir d'attirer l'attention du gérant de la place. Lui faire des battements de cils ne suffisait pas, d'autant plus qu'ils étaient souvent couverts de mascara agglutiné. Beurk! Et ne lui parlez pas de celles qui, ayant passé leur vie sous le soleil de la Floride, avaient la peau brune et fripée de femmes de 70 ans. Une seule pensée et Joe en avait des frissons de dégoût. Heureusement, Blake était à l'opposé de ces images; une brise d'air frais en comparaison.

Étrangement, il n'y avait pas beaucoup de monde dans le bar pour une telle heure, ce qui ne semblait pourtant pas déranger Jonas le moins du monde. Bien sûr, la raison initiale pour laquelle il était revenu à Miami était qu'il voulait donner un coup de main à Darren pour sortir le bar du rouge. Ils ne s'en étaient pas trop mal sortis ces dernières années, mais la dette qui ne finissait pas par diminuer devenait de plus en plus lourde, surtout qu'elle venait avec une affiliation peu recommandable. Le fait qu'il n'y avait pas une grosse clientèle ce soir signifiait donc une baisse d'argent qui rentre. Mais Joe s'en fichait : il pouvait flirter comme il voulait avec la belle Mills.

― Alors.. Vodka, tequila ou fireball? demanda Joe à la jeune femme, faisant bien sûr référence à l'alcool qu'elle préférait boire en shot qu'il s'apprêtait à leur servir.

La réaction de Blake face à la troisième suggestion de Jonas, soit le fireball, étira largement le visage de l’homme en un sourire moqueur. Il était soulagé que la blonde ne soit pas amatrice de cet alcool qu’il détestait. Le whisky, à son avis, se buvait tel quel, sans même un seul glaçon, et surtout pas aromatisé à la cannelle. Il ne connaissait cependant pas assez la demoiselle pour savoir si son dégoût apparent était lié à des papilles gustatives développées ou à une mauvaise expérience. Il décida donc de la taquiner un peu pour connaître la réponse à son questionnement interne, tout en acquiesçant à la mention de la tequila. Ça lui convenait mieux, à lui aussi.

― Hmmm.. Mauvais souvenir avec le fireball?

Jonas prit le verre vide de Blake qu’il déposa dans l’évier derrière le comptoir et sortit deux petits verres qu’il remplit tout en l’écoutant parler. Elle l’interrogea sur la faible quantité de clients présents ce soir et si cela l’inquiétait. Évidemment que ça le stressait. Il ne roulait déjà pas sur l’or avant de quitter le Montana et ce n’était clairement pas pour faire fortune qu’il était venu aider Darren. Néanmoins, il s’attendait à recevoir un salaire plus élevé que celui que son frère était en mesure de lui verser chaque semaine. Heureusement, il y avait toujours le pourboire ― c’était d’ailleurs une des raisons qui motivait Joe à servir la clientèle plusieurs soirs par semaine ― et, généralement, il s’en sortait pas trop mal à la fin de chaque soirée. Aujourd’hui, ce serait peut-être différent, mais bon, il préférait ne pas trop y songer. Alors qu’il remplissait les verres presque à ras bord, Blake réagit fortement, mais approcha tout de même un des verres vers elle en plissant son petit nez.

― HA! Pas d’inquiétude, je ne te laisserai pas te rendre malade. Et ce ne sera pas moi qui passerai derrière, si jamais c’est nécessaire.

En tant que gérant, Joe pouvait bien se permettre de déléguer les sales besognes à un employé. Il était prêt à beaucoup pour aider le bar à se redresser, mais laver les cuvettes de toilette, c’est hors de ses responsabilités. Le gérant observa la jeune femme approcher le petit verre de ses lèvres à l’aide d’une fine main, alors qu’elle lui annonça être prête.

― Même pas de lime ou de sel? Une femme sans artifices, j’aime ça. Allez, cul sec! répondit Jonas en faisant un furtif clin d'œil à Blake avant de s’emparer à son tour de son petit verre et d’en boire d’un trait son contenu. La tequila n’était pas son alcool préféré, mais il avait toujours aimé l’effet brûlant dans sa gorge. Il secoua vite fait la tête comme si cela allait l’aider à faire passer l’effet, puis posa son regard sur son interlocutrice, un sourire légèrement moqueur s’affichant à nouveau sur son visage.